Quel cavalier n’a pas rêvé de mieux comprendre son cheval ? Et quel cavalier ne s’est pas un jour agacé après sa monture sursautant « sans raison » ?
Ne vous êtes-vous jamais dit : « c’est agaçant, il est déjà passé par cet endroit des dizaines de fois sans avoir peur et aujourd’hui c’est la panique alors qu’il n’y a rien de nouveau » ?
Eh oui, pour comprendre son cheval, il faut parfois faire l’effort de se mettre « dans sa tête », et surtout dans ses « sens ».
C’est peu de dire que le monde sensoriel du cheval est bien différent de celui des humains.
Il est donc pertinent de se demander : « s’ils ne voient pas la même chose que nous, s’ils ne sentent pas les mêmes odeurs que nous, si leurs papilles gustatives sont différentes, s’ils n’entendent pas comme nous et s’ils n’ont pas le même « toucher » que nous, alors finalement vivent-ils la vie comme nous ? »
Eh bien non ! Malgré notre proximité, malgré la domestication, malgré notre complicité, malgré nos habitudes communes, lorsque nous chevauchons à travers la campagne, notre monture ne fait pas la même balade que nous !
Pour tenter de comprendre ce que votre fidèle compagnon a vécu et retenu de votre dernière sortie à travers champs, je vous propose un tour d’horizon de ses cinq sens.
La vue
Le cheval possède l’œil le plus gros de tous les mammifères terrestres mais pour autant, il ne voit pas tout en plus gros.
Pour assurer sa survie et repérer les dangers potentiels, ses yeux constituent son outil principal.
Ils sont placés de part et d’autre de la tête, ce qui lui permet, d’une part de détecter les prédateurs d’où qu’ils surgissent mais également d’avoir toujours une vue sur l’ensemble du troupeau même lorsqu’il broute ou sommeille.
Le placement latéral de ses yeux lui offre un champ de vision proche de 360°, c’est-à-dire qu’il peut voir presque derrière son dos. Cette vision panoramique se caractérise par une vision binoculaire de 80° et une vision monoculaire de 140° pour chaque œil.
La vision monoculaire, c’est-à-dire faisant intervenir, soit l’œil droit, soit l’œil gauche, est approximative mais elle lui permet de distinguer les mouvements et les formes autour de lui. La vision binoculaire est plus précise et lui permet d’évaluer les distances, de distinguer les reliefs, et de percevoir les couleurs (principalement le bleu, le jaune et les dégradés de gris)
La vision binoculaire est naturellement orientée vers le bas, vers son nez (et non en face de lui comme pour nous) ce qui lui permet de voir où il va mettre les sabots.
Le cheval a, malgré cela, plusieurs zones aveugles : juste derrière son arrière main, sous son nez et au-dessus de lui. Il doit donc tourner la tête pour percevoir visuellement son cavalier.
Malgré ce large champ de vision, ses yeux, sont peu mobiles et le cheval a donc besoin de tourner, baisser ou basculer la tête pour examiner les détails. Ainsi notamment, pour bien voir en face de lui, il doit relever la tête. Ce qu’il fait notamment lorsqu’il veut regarder au loin. Cette caractéristique est importante à connaître pour le cavalier qui veillera à ne pas bloquer la tête de son cheval, au risque de limiter son champ de vision et donc de le mettre en stress. Un cheval à qui l’on ramène la tête vers le poitrail ne verra que ses pieds et ne verra pas où il va. Il n’aura pas d’autre choix que de faire confiance à son cavalier. C’est d’autant plus vrai qu’il voit mal au-dessus de la ligne de ses yeux (un peu comme s’il portait une casquette).
Si le cheval a un large champ visuel, il a en revanche une moins bonne acuité visuelle que l’homme (40% inférieure à la nôtre). Cela signifie qu’il peut voir les mêmes détails d’un objet que nous mais en étant deux fois plus près. Il a, par ailleurs, une bonne vision du relief et une grande sensibilité aux mouvements.
Et les couleurs ?
Le cheval voit, lui aussi la vie en couleur mais pas de la même façon que nous : A la différence de l’homme (qui est trichromate bleu, vert, rouge), le cheval est dichromate et ne distingue pas le rouge (il est sensible particulièrement au bleu et jaune).
La vision nocturne :
Le cheval possède une bonne vision nocturne avec quelques secondes d’adaptation à l’obscurité brusque (ce temps d’adaptation est plus long que pour l’homme).
A noter que ces caractéristiques sont celles d’un cheval à l’acuité visuelle normale. Il est cependant important de considérer que, tout comme les humains, les chevaux peuvent souffrir de déficits visuels et qu’ils sont très rarement diagnostiqués.
L’ouïe
L’ouïe du cheval est nettement plus développée que celle de l’homme. Ses grandes oreilles mobiles lui permettent de capter un maximum de sons et de détecter leur provenance. Elles bougent avant la tête lorsqu’un son l’interpelle.
Le cheval perçoit moins bien les sons graves (fréquences basses) que l’homme mais mieux les ultrasons (fréquences hautes). Cela signifie qu’il peut, dans les fréquences hautes, capter des bruits que nous n’entendons pas. En revanche l’ensemble des fréquences émises par la voix de l’homme sont accessibles au cheval, à condition bien sûr qu’il n’ait pas de déficit auditif.
En effet, tout comme pour la vue, les dépistages ne sont pas systématiques, malgré les conséquences que peut avoir un tel déficit.
L’ouïe est essentielle pour la survie du cheval sauvage mais également pour l’équilibre du cheval domestique. En cas de danger, le cheval s’appuie sur un système audio-visuel très efficace : Il existe des connexions nerveuses entre le système visuel et le système auditif qui commandent des mouvements associés des yeux et de la tête permettant ainsi une détection précoce du danger.
L’audiogramme du cheval révèle également une meilleure sensibilité à l’approche furtive d’un éventuel prédateur.
L’odorat
L’odorat a un rôle important dans le monde sensoriel du cheval. Cette caractéristique est une réelle différence par rapport à la perception humaine. Ici encore (tout comme les oreilles), la taille de l’organe (les naseaux) est le reflet de l’importance du sens associé. Ses naseaux sont volumineux, bien séparés et tournés chacuns dans des directions opposées ce qui leur permet de localiser plus facilement la source de l’odeur.
Le comportement du cheval montre à quel point ce sens est important : Il suffit d’observer un cheval explorant un élément de son environnement : Tout d’abord il regarde, puis il écoute, puis il s’approche pour le flairer.
Le cheval est par ailleurs doté comme d’autres mammifères d’un récepteur particulier (l’organe de Jacobson) qui lui permet de détecter certains composés chimiques émis par d’autres individus (phéromones) en se livrant au Flehmen.
Ce Flehmen, bien que survenant fréquemment dans un contexte sexuel, s’observe également dans des situations variées et peut-être réalisé aussi bien par des femelles que par des mâles, par des poulains que par des adultes.
Ce sens olfactif développé permet au cheval d’acquérir de nombreuses informations sur son environnement (choix des aliments, exploration d’objets…) mais il a également un grand rôle dans les interactions sociales (reconnaissance du poulain par sa mère à l’odeur, comportement de marquage des étalons…) en recueillant des informations sur l’identité et le statut d’un autre cheval (notamment en flairant les crottins). Il permettrait aussi de repérer l’odeur des prédateurs.
Plus surprenant, le cheval serait capable de repérer l’humeur de son humain par la reconnaissance de l’odeur que celui-ci dégage en fonction de ses émotions.
Le toucher
La sensibilité tactile s’étend sur toute l’étendue de la peau mais certaines zones telles que les lèvres, le bout du nez, les paupières, l’intérieur ou le tour des oreilles sont particulièrement sensibles. Les nombreux poils tactiles autour de son nez et de son menton (vibrisses) lui permettent d’appréhender ce qu’il ne voit pas.
Sur le corps et particulièrement sur certaines parties (les flancs, le dos, le garrot…), le cheval possède une sensibilité tactile très vive : Il perçoit par exemple une mouche marchant sur sa peau.
Au niveau de son dos, il est capable de faire vibrer sa peau à l’aide de son muscle peaucier pour chasser les mouches qui s’y posent.
Cette sensibilité accrue a également d’autres intérêts, et notamment un intérêt social. C’est par le toucher que les chevaux tissent des liens d’amitié en se toilettant mutuellement (on appelle cela l’allogrooming) . Cette pratique fréquente et naturelle entre chevaux d’un même troupeau a des vertus calmantes et diminue le rythme cardiaque des protagonistes. C’est une vraie pratique de bien-être.
Le goût
Le cheval est doté de papilles gustatives sensibles au salé, au sucré, à l’acide et à l’amer.
Tout comme pour l’humain, la variété des goûts et des saveurs contribue à son bien-être.
En mastiquant les aliments, les chevaux libèrent des molécules olfactives qui se propagent dans les cavités nasales et sollicitent l’olfaction. On parle alors de « flaveur ».
Si chaque cheval a ses propres préférences alimentaires, il existe malgré tout des tendances générales : les arômes de pomme et de carotte sont assez unanimement appréciés. Toutefois, le goût est aussi conditionné par l’éducation du poulain dès son plus jeune âge. Un aliment qui n’aura jamais été goûté à cette période de sa vie pourra être « boudé » sa vie durant. Il est donc important de diversifier l’alimentation du poulain.
D’autant que, le cheval passant l’essentiel de son temps à manger, il serait dommage de sous-estimer l’importance de son sens gustatif pour son bien-être et son plaisir.
Conclusion
Comme nous venons de le voir, le cheval évolue dans un monde multi sensoriel bien différent de notre ressenti d’humains surtout influencé par la vue et l’ouïe.
Alors, à l’aune de ces éléments, je vous invite à vous mettre dans la tête de votre cheval et à revivre, avec ses sens, votre dernière sortie ensemble. Qu’a-t-il pu se passer lorsqu’il a fait un écart dans ce chemin creux ? Un son imperceptible à vos oreilles d’humain ? le mouvement d’un oiseau dans un buisson invisible pour vous ? ou encore une branche basse lui fouettant la croupe ? Pourquoi a-t-il voulu flairer tous les crottins rencontrés sur votre trajet et surtout, avez-vous eu raison de lui lever systématiquement la tête pour l’en empêcher ?
Et si lors de votre prochaine séance avec votre cheval, vous tentiez de vous mettre dans « son monde sensoriel » pour essayer de deviner ce qu’il a vu, entendu, senti ?
C’est sans nul doute un excellent moyen de mieux le comprendre et de développer bienveillance et empathie pour ses réactions de cheval.